Fontenay-aux-Roses, mars 2020, samedi soir, fin de la deuxième semaine de confinement.
Comme tous les soirs depuis 2 semaines, je n’arrive pas à trouver le sommeil. Il est vrai que j’ai pris ma dose d’excitants. Pas de caféine, de théine, de produits en « ines » ou de sports violents avant de me coucher. J’ai simplement regardé le 20 heures et maintenant depuis près de 4 heures je zappe d’une chaine à l’autre, BFM, Cnews, LCI, France Info, et je tourne en rond sur ces chaines jusqu’à ce que je sache tout, ou plutôt rien, sur la crise sanitaire actuelle. Cela fait seulement quinze jours que les « sachants » tournent en rond, avec nos nerfs, en bavassant pour dire qu’Ils ne savent finalement rien sur la « bestiole ». Tout le monde se doute que ce confinement sera prolongé d’un 1 mois au minimum sauf eux !
Je suis couché et je me retourne d’un côté et de l’autre dans l’attente d’un sommeil qui ne vient pas.
Je craque, je me lève. J’ouvre ma fenêtre et regarde au dehors, ou plutôt j’écoute. Une heure et demie du matin, pas un bruit, pas une rumeur. Pas une voiture, pas un bus, pas une camionnette, pas une moto qui passe. Même pas d’ambulance, qui en ce moment doivent pourtant beaucoup circuler.
Et si je faisais un petit tour dehors ? Il faut que je m’habille chaudement car malgré le beau temps, il fait plutôt froid la nuit. C’est fou, en mars pas de giboulées mais un temps ultra sec et beau. Il fait beau, on devrait pouvoir sortir et pourtant on n’a pas le droit de sortir ! C’est la faute au virus ?
Allez, je me lance, je sors. Je suis dans ma rue, j’avance, et ne rencontre personne. Vais-je au centre ville de Fontenay ou est-ce que je me dirige ailleurs ? Ce soir, je vais tout braver. Je prends la coulée verte interdite et décide de monter sur Sceaux. Ils ont mis des barrières mais c’est facile de les franchir. Allez hop une rue, et je rentre dans Sceaux par la coulée verte. Et là, je me dis, je n’ai pas pris mon laissez-passer ni ma carte d’identité. Que vais-je dire si on m’arrête ? Non ce soir tout m’est permis !
J’arrive rue Houdan. Toujours personne à rencontrer, ni aucun bruit même lointain. Je passe devant les magasins de cette rue commerçante. Et si j’attendais ici l’ouverture des boutiques. Comme cela, je serai le premier client et je ne ferai pas la queue derrière une dizaine de personnes plus ou moins espacées. C’est une très bonne idée. Mais il est 2 heures du matin et il faudrait que j’attende plusieurs heures. J’y pense, je n’ai aucun moyen de paiement sur moi. Mauvaise idée.
Bon j’avance un peu et j’arrive devant l’église en travaux, travaux abandonnés en l’état comme un village fantôme après la ruée vers l’or. Je vais à droite et je descends une petite rue. En bas, je me retrouve un peu plus loin devant les grilles du parc de Sceaux. Il est naturellement fermé à cette heure, mais aussi dans la journée, comme si la verdure « nuisait grave …. ». J’ai pourtant envie d’y pénétrer. Je pourrais faire un petit tour dans ce parc en bravant un autre interdit. La grille n’est pas très haute et malgré les piques, cela ne me semble pas très difficile. Je tente et je me hisse en haut. Je fais attention au passage au-dessus de la grille et après un rétablissement, je peux redescendre en douceur de l’autre côté. Je décide de me promener dans le parc. Quelle bonne idée.
Mais j’avais oublié que le parc n’est pas éclairé. Dés que je m’éloigne de la rue, il fait très sombre. Il n’y a pas de lune et les étoiles que je voyais briller lors de ma promenade en ville, sont masquées par les arbres dont les feuilles commencent à émerger. C’est superbe mais inquiétant. Les arbres et les buissons remuent avec le vent et leurs ombres dues à une lumière résiduelle donnent un aspect fantastique, mais globalement tout est noir.
J’ai mon portable et je tente la lampe torche, mais autant elle est pratique pour trouver le trou d’une serrure dans le noir, autant c’est absolument inutile dans cette obscurité quasi totale. Bon, je décide de me promener dans les allées les plus proches des bords. Pas si simple ; les chemins ne longent pas les bordures du parc et l’obscurité reste profonde. On vit dans un monde hyper éclairé jour et nuit et on finit par ignorer l’existence de l’obscurité totale : ce qu’on appelle tout simplement les « ténèbres » !
Je fais une petite marche pas très assurée dans une allée, et je me heurte violemment à un banc en pierre. Le choc sur le genou est douloureux et je décide de m’asseoir un peu. Tiens un enfant a oublié son doudou sur le banc et donc, cela doit faire plus de 2 semaines. Je le mets dans la poche de mon pantalon afin de le laisser à la sortie du parc. Peut-être qu’il le retrouvera ? Sortir du parc est mon nouvel objectif, car finalement, cette balade n’est pas si passionnante que je l’avais imaginée. Je prends une voie transversale en direction de la sortie. Mais là, je suis coincé. Il fait sombre et je ne vois pas de points d’appui pour franchir la grille ! Si je restais coincé toute la nuit dans le parc. Et si je restais enfermé une journée ou même pendant tout le confinement dans cette zone interdite, et sans pouvoir expliquer pourquoi je suis à l’intérieur ! Cela commence à m’angoisser !
A un endroit tout de même, un tas de feuilles tassées au sol et des branches un peu basses me permettent de me hisser en haut de la grille puis de la franchir. Je suis libre ! Mais je me retrouve dans le petit jardin entourant l’église et qui est également clôturé ! J’avance vers les lumières de la rue proche et je manque tomber dans le petit bassin. Cela aurait été le bouquet de finir trempé en ce moment. Et les statues alignées donnent un effet fantasmagorique. Il ne manquerait plus qu’elles s’animent ! Maintenant il faut que je sorte de là. Je me dirige vers la grille qui donne sur la rue. Aucun appui au sol qui me permettrait de franchir cet obstacle. Il y a bien les deux battants de la porte, mais ils sont attachés avec une chaine et un cadenas. Finalement je joue sur les 2 battants et en me grimpant sur la chaine pour faire passer le corps au-dessus des portes, les jambes peuvent se glisser. Je suis en haut et c’est à ce moment qu’une voiture décide de passer. La seule depuis, … depuis le début de mon escapade ! Je m’allonge en haut de la grille sans bouger et je tâche de ne pas me faire remarquer. Mais voilà un autre véhicule puis encore un autre et un autre passent. C‘est un véritable rallye ! Mais personne ne fait attention à moi. J’attends en haut de la grille que cela se calme puis je redescends côté rue et souffle un peu.
A force de trainer, je finis par être fatigué et avoir sommeil. Magnifique. Cette promenade était salutaire. Je vais rentrer me coucher. Je prends un autre chemin pour le retour en me disant, qu’il ne faut surtout pas que je sois vu par qui que ce soit. Ce serait trop bête maintenant que j’ai réalisé toute cette expédition.
Aussi je cours plus ou moins en rasant les pavillons et immeubles sur ma route. Je sursaute chaque fois que j’entends un bruit. Un chien, un chat, un renard, une civette, un oiseau de nuit. Une discussion. Oui des gens parlent fort dans un pavillon encore éclairé. Mais pourquoi ne dorment-ils pas encore ? En avançant, je vise chaque rue transversale qui me permettrait de m’échapper si une voiture passait. Et le passage du pont au-dessus du RER est un enfer, rien pour se cacher et j’accélère ma course. Je dois me trouver à plus de 1 km de mon domicile. Maintenant, j’entends vraiment un bruit de moteur, et je vais me réfugier derrière un arbre dans la rue. C’est une voiture particulière sans marque distinctive. Cette voiture roule très vite probablement bien au-delà de la limitation. Mais c’est peut-être un urgentiste ?
J‘arrive enfin dans ma rue, et aperçois mon immeuble au loin. Je continue à courir. Je suis sorti 1 heure. C’est bon, je suis dans les clous ! Il est 3 heures du matin et je suis très essoufflé. Encore une voiture qui passe au loin et s’éloigne rapidement. Après ces activités, je ne me sens pas vraiment bien, j’ai froid et chaud à la fois. Aurais-je attrapé le virus dans le parc ? Ou bien tous ces efforts physiques de la nuit sont responsables de cette fébrilité.
Maintenant, je remonte chez moi et vais aller me coucher. Cette escapade m’a vraiment donné très chaud. Je transpire beaucoup. Entre l’angoisse de rester dans le parc, cette course effrénée pour le retour, le risque de se voir interpelé en tant que « multi-infractionniste » ? Enfin, j’ai très sommeil, je me couche et je m’endors.
Mais instantanément je me réveille en sueur ! Il est encore 2 heures du matin sur mon radioréveil ! Mais non, il est 3 heures du matin sur mon portable qui, lui, a basculé de façon automatique lors du passage à l’horaire d’été !
Ma balade nocturne était donc un rêve ! Plutôt un cauchemar ! C’est certain !
Je me relève pour aller boire un verre d’eau. Tiens, j’ai mal à un genou et j’aperçois un doudou sorti à moitié de la poche de mon pantalon …..
Heure d’été 2020 (France). dimanche 29 mars. Début: 02:00. Fin: 03:00
Eric Wolinski