À Lyon, le 25 avril 2020
Chère Anna du futur,
Quand tu ouvriras cette lettre, le confinement sera déjà un très lointain souvenir. J’espère que tu auras enfin décidé de faire ce qui te rend heureuse sans tenir compte de ce que les gens peuvent penser. Si cette expérience m’a appris quelque chose, c’est bien que tu peux être seule et heureuse grâce aux choix que tu fais. Alors sois attentive à ce que je vais te raconter.
J’ai quitté Paris précipitamment le 13 mars en pensant que je reviendrais d’ici quelques semaines. Cela fait bientôt plus d’un mois que je suis à Lyon, confinée. Je ne m’attendais pas à changer de vie aussi brusquement.
Aussi je t’écris depuis la fenêtre de ma chambre d’hôtel sur la place Bellecour avec vue sur le Rhône pour garder une trace de ce que je vis, de ce que nous vivons tous chacun en ce moment car dans 10 ans tu ne te souviendras peut-être pas de tous ces détails.
Je te dirais que je suis chanceuse d’être partie pile au bon moment en province. Ce n’est pas que je ne supporte pas la région parisienne mais tout est déjà stressant en temps normal alors je n’ose même pas imaginer ce que ça aurait été en période de confinement, dans un petit studio de moins de 15 mètres carrés.
Je ne peux pas sortir comme tout le monde actuellement mais j’ai un balcon dans ma chambre et regarder au loin sur le Rhône m’inspire cette évasion dont j’ai besoin pour l’instant. Je sais que je fais partie des privilégiés dans notre pays : je fais partie des personnes qui ne sont pas frappées par le chômage partiel et je ne suis pas en contrat précaire, je peux travailler de n’importe où grâce à une connexion internet et mon ordinateur.
Le personnel de l’hôtel est fort sympathique et nous offre régulièrement des cafés dans la salle de petit déjeuner tout en respectant la distanciation qui est devenue obligatoire pour se protéger.
Qui nous aurait dit que pour protéger nos familles, nos amis et les personnes à qui nous tenons, il faudrait se tenir à distance ? Que nous n’aurions plus le droit d’aller manger dans les restaurants ou de prendre un café entre collègues ? Que nous ne pourrions plus utiliser les transports comme avant ? Que nous aurions besoin de porter un masque pour éviter de contaminer les personnes avec qui nous parlons ?
Quand j’ai commencé à entendre parler de ce Coronavirus, je ne pensais pas que notre quotidien allait changer de manière aussi drastique. Je ne pensais pas devoir rester enfermée dans une chambre d’hôtel toute la journée. Je connais très bien la ville de Lyon, ce n’est pas la première fois que je viens ici. Mais les fois précédentes, je me baladais dans les ruelles du quartier de la Croix-Rousse ou dans le parc de la Tête d’Or pour me vider l’esprit. Or sortir sans une attestation de sortie est totalement interdit sous peine d’une amende de 135 euros et les sorties sont très limitées, uniquement pour des besoins de première nécessité. Alors, comme tu dois t’en douter, je ne sors pas. Je reste tranquille dans ma chambre et respecte les règles tout simplement.
Les premières semaines, j’ai beaucoup travaillé. J’ai travaillé de longues heures sans me rendre compte que je ne me vidais pas assez la tête pour pouvoir m’endormir paisiblement.
Au bout de trois semaines, j’ai changé de méthode car je me suis rendue compte que ce confinement allait malheureusement durer plus longtemps que prévu. Alors maintenant, je m’évade virtuellement avec des films, avec des livres et je prends aussi le temps de prendre des nouvelles de mes amis. Et j’écris, comme cette lettre que je t’écris en ce moment. Je ne sais pas si je t’en écrirais d’autres mais si c’est le cas, je te raconterai les progrès que j’ai faits pendant ce confinement, ce que j’ai appris au quotidien.
Ne pouvant plus sortir, faire un tour, faire les magasins, aller au restaurant…, je me rends compte de ces petits moments de liberté et de bonheur que nous avons tous l’occasion de vivre au quotidien sans nous rendre compte que ce sont des instants précieux. Simples mais précieux. Finalement tout semble tellement éphémère. J’ai pris pour argent comptant le fait de pouvoir voir mes amis quand je le souhaitais alors qu’aujourd’hui le seul moyen de « voir » mes amis, c’est d’utiliser des outils numériques comme Facetime, WhatsApp. Des contacts virtuels pour combler le manque. Combien de fois me suis-je dis « j’aurais l’occasion ce week-end d’appeler untel ou untel pour s’organiser une sortie » Aujourd’hui je me rends enfin compte que tout ce que nous avons tendance à reporter peut ne jamais avoir lieu.
Qui me dit aujourd’hui que nous nous en sortirons tous indemnes de ce virus ? Qui me dit que des proches ne seront pas contaminés et seront en réanimation ? Il semble toucher tout le monde, tout âge avec ou sans antécédent médical. Je ne le dis pas mais j’ai peur. J’ai peur de ne pas avoir l’occasion et le temps de vivre mes rêves, de voir les gens à qui je tiens une dernière fois, de pouvoir les prendre dans mes bras et leur dire combien je tiens à eux. J’ai peur de tout cela.
Je me rends compte que j’ai passé énormément de temps à me plaindre des transports que je prends quotidiennement pour me rendre au travail. Mais aujourd’hui, je donnerais tout pour reprendre une vie normale, sortir, voir mes amis et ma famille, aller au travail, prendre un café avec mes collègues, pouvoir raconter des blagues devant la machine à café ou en salle de réunion quand les organisateurs de nos fameuses réunions arrivent en retard…Tout ce qui semblait tellement futile avant que je vienne ici prend finalement tellement de valeur.
J’ai toujours entendu dire qu’ « on se rend compte de l’importance d’une chose que lorsqu’on la perd, et on ne sait pas ce que l’on est en train de perdre jusqu’à ce qu’on le réalise ». Cette phrase n’a jamais été aussi vraie que pendant ces moments de confinement.
Je sais que nous sortirons tous de ce confinement tôt ou tard et je nous le souhaite car cela ne peut pas durer toute la vie. Par contre ce que je souhaiterais c’est que nous, les gens qui nous entourent, ressortions grandis de cette épreuve. Nous ne pouvons pas, non, nous ne devons pas reprendre le cours de notre vie comme avant.
Nous devons sortir changés de cette pandémie. Soyons plus tournés vers l’autre, soyons attentifs à nos amis, nos proches, nos voisins. Soyons reconnaissants de toutes les personnes qui nous soignent, qui nous protègent et qui prennent tous les jours des risques pour que nous soyons en vie. Pensons également à nos entreprises nationales, nos restaurants et nos commerces, achetons chez eux pour leur permettre de rattraper, ne serait-ce qu’un peu, leur activité de l’année. Pas qu’en 2020 mais pour les autres années à venir. Ne reproduisons pas les mêmes erreurs que dans le passé.
Je ne dis pas que dans dix ans ta vie sera totalement changée, je sais que la routine a un fort pouvoir de nous empêcher de penser à tout cela car nous sommes si occupés. Mais fais en sorte de ne pas oublier l’enseignement le plus important que j’ai appris pendant ce confinement : la vie est courte et on n’en a qu’une. Ne reporte pas ce qui te tient à cœur. Nous n’avons que si peu de lendemains.
J’espère que tu en es maintenant consciente et que tu chéris les moments et les personnes qui comptent pour toi. Que ce sont tous ces petits moments passés avec ceux qui comptent qui font la beauté de la vie et le bonheur que l’on veut tous connaitre.
Sois moins égoïste et fais du bien autour de toi. La vie ne dure que deux secondes.
Bien à toi
Shamina Ahamed