On ne fera pas la ville de demain sans faire place aux idées neuves, à l’audace », écrit Gilles Mergy dans la présentation de ce blog. Présidente de Région depuis trois ans, je vais plus loin, et je sais que Gilles partage ce constat : on ne fera pas la République de demain sans faire place aux territoires et à leurs habitants qui prouvent, quotidiennement et bien souvent ensemble, leur capacité à avancer et à innover.
On a, par commodité intellectuelle souvent, par peur parfois, résumer le mouvement des gilets jaunes par « une jacquerie bien française ». Si ce mouvement est bien Français, au sens où il prend racine sur le principe d’égalité (fiscale, territoriale) qui a construit notre pays, il n’est en rien une jacquerie. Je ne suis élue que depuis 2008 mais je constate que je me bats souvent, avec les élus et la population concernée, depuis toutes ces années pour maintenir ici, une maternité ou une gare SNCF, là un tribunal ou un bureau de poste…
L’éloignement aux services publics s’est proportionnellement doublé d’un écart toujours plus grand entre les couches modestes et les plus riches de la population. Un effet ciseau qui a pris de l’ampleur avec une mondialisation vécue sans garde fous, sans limites, qui fait que la plupart de nos concitoyens estiment que leurs enfants vivront moins bien qu’eux. Cet « en même temps », pour le coup bien réel lui, a amené nombre de nos compatriotes à se détourner de la chose politique, de la chose publique, considérant que « là-haut, rien n’était fait pour eux ». Pire, dans ce vide, s’est engouffré le vent mauvais du populisme, avec ses corollaires, le racisme, l’antisémitisme, le rejet des élites, le repli sur soi nationaliste…
Dos au mur, il n’y a qu’un chemin à (re)prendre : celui de la volonté politique abandonnée aux profits du tout administratif et du tout comptable. De remettre la notion de « progrès » qui a disparu du vocabulaire politique depuis 30 ans maintenant, au cœur de cette volonté politique.
Chaque élu de notre République le sait au fond de lui-même : personne ne peut, à l’évidence, être surpris de ce que vit le pays depuis trois mois maintenant. Sa longueur, son soutien populaire, indiquent qu’il s’agit d’un mouvement social inédit.
Et pour cause, jamais dans notre histoire contemporaine, un mouvement, avec ses vérités mais aussi ses dérives inacceptables, n’avait touché à l’essence même de ce qui fonde notre destin collectif : l’organisation de l’Etat, ses buts et ses moyens ; notre rapport à la démocratie qu’elle soit représentative ou directe.
Sur le premier point, notre maturité démocratique et notre expérience de plus de 35 ans de décentralisation, devraient permettre à l’Etat, et surtout à celles et ceux qui le dirigent, de considérer que les territoires sont les mieux à même de décider, et donc de faire, ce qui est bon pour eux. La preuve par un chiffre : 70% de l’investissement public de ce pays est généré par les collectivités locales. Au fond, le bon sens voudrait que les collectivités locales s’occupent et gèrent la proximité et le quotidien tandis que l’Etat se concentre sur le régalien. Un partage des tâches efficace, gage de réactivité, qui permettrait de supprimer ses insupportables doublons administratifs qui freinent tant de projets… Oui, la République des territoires que j’appelle de mes vœux est une voie pour fortifier notre République une et indivisible. Elle nécessite d’en finir avec la recentralisation à l’œuvre depuis 20 mois pour faire place à une véritable nouvelle décentralisation, pleinement assumée tant au niveau local que national.
Elle la fortifiera également du point de vue démocratique, et c’est mon second point. Un grand débat national de trois mois c’est bien, des débats locaux ou régionaux plus souvent c’est mieux. Avec de vraies questions ouvertes ; un vrai temps de pédagogie ; un vrai moment de restitution ; une vraie assemblée mêlant un jury citoyen tiré au sort et des élus ; une vraie consultation donnant lieu à une vraie prise en compte de l’avis citoyen dans les politiques publiques qui seront mises en oeuvre. C’est la condition sine qua non pour retrouver le chemin de la confiance dans notre pays.
A vouloir décider seul et d’en haut, à vouloir créer artificiellement et obstinément un dialogue entre « le peuple » et un individu, à estimer que les corps dits intermédiaires ou les élus étaient les tenants de l’ancien monde et donc de l’immobilisme, certains ont créé une terrible illusion et celle en particulier que la somme des intérêt particuliers faisait l’intérêt général. Cette illusion est mortelle, à terme, pour la République. Bien que mâché par la technologie et les chaînes infos, le temps politique est plus que jamais nécessaire. Il nécessite de faire appel à l’intelligence collective, comme le fait Gilles dans ce blog. Soyons résolument optimiste : cela tombe bien, notre pays regorge d’intelligence collective et d’envie.
Carole Delga
Présidente de la Région Occitanie